October 19, 2010

Salut, Cuniot

Je t’ai jamais dit que j’écrivais un blogue, t’aurais beaucoup trop râlé parce qu’il est en anglais. T’aurais dit qu’avoir des amis non francophones partout sur la boule, c’est pas une raison de pas écrire en français. Mais tu m’aurais pas engueulé, parce que tu m’aimes bien. Tu m’aurais versé un de tes fameux petits pinards, tu te serais allumé un autre de tes étroits cigares étranges et tu m’aurais raconté des histoires.

T’aurais pu me détester, je t’en aurais même pas voulu. Je suis débarqué dans ta vie avec mon marteau et mes projets, ma grande gueule et mes conneries. Je t’ai réveillé, certains matins, en appuyant sur ta vieille sonnette collée. J’ai même fracassé ta fenêtre de salon avec un madrier. T’as jamais bronché.

Même cet affreux jour gris où je me suis ramené pour t’annoncer que je reprenais ton appartement, tu m’as même pas jeté à la rue. On s’est assis, on n’a pas dit grand-chose. Tout ce que j’ai trouvé à te dire, c’est à quel point je me sentais dégeulasse. T’as gratté un peu ta barbe, puis tu m’as dit de pas m’en faire.

Tu es toujours resté dans ma vie, depuis. Qu’on se croise dans la rue, sur une terrasse ou que je vienne t’écouter dans un de tes récitals délicieux, t’as toujours eu une petite minute et quelques bons mots pour moi. Tu me prenais le visage avec tes mains un peu ridées et tu m’embrassais des deux côtés, à la Française. Puis tu allais me présenter à d’autres comme «l’un des deux frères qui m’a mis à la porte», en tournant un fer gentil dans une plaie que je cachais mal.

Est-ce que ça te fait drôle, que je te tutoie? À moi, un peu. Mais j’ai pas pu écrire sur un autre ton. Trop de distance.

C’est Jamil qui m’a appris la nouvelle. Dans le fond du parking du Gainzbar. Il pleuvait.

J’ai jamais écrit en français sur FlintLand. Aujourd’hui, mon ami, je le fais pour toi. Pour te témoigner mon respect et mon amour, et parce que j’ai pas eu le temps de te dire au revoir.

Salut, Cuniot. T’avais raison : j’ai vraiment été chanceux de pas tomber sur un vieil acariâtre.

J’espère qu’ils ont du pinard, au ciel.





En mémoire de Alain Cuniot (1919-2010)

Écrivain, comédien, poète, charmeur et homme magnifique

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